Accéder au contenu principal

Les Dieux de la Ramasse vivent au cœur de la capitale dans de petits appartements situés à plusieurs étages. Le problème majeur des chasses quotidiennes étant l’accumulation de choses trouvées dans des espaces restreints. Les Dieux de la Ramasse

La première chose que je peux vous dire…

SNG Natacha Guiller

Revue #95

Avril 2022

La première chose que je peux vous dire…

La première chose que je peux vous dire – utricule du temps déconfinée m’est aussi compté – j’amorce ellipsographe la remerciée ambulante ébaubie en proie au système solaire autonome déconcertée, des espaces d’autres bruits m’attendent, ébrouée d’outre à lucioles ; je n’ai pas le topo diaphane tout comme ces dizaines de chats alentours, pour embarrasser l’opportune.

"Les Dieux de la Ramasse"

L’appellation des "Dieux de la Ramasse" naît en 2020 dans une rue du 20e arrondissement de Paris, lors d’une promenade de chasse sur attestation dérogatoire élargie au territoire réglementaire, aux abords des bennes pleines. Elle est inventée et labellisée à travers la complicité de Natacha et Nicola. Toutes les histoires qui en découlent sont tirées de leur histoire vraie, celle d’avec les déchets.

Nous déposons des souvenirs dans la rue. Chaque chasse s’associe de mémoires internes aimantées. Le souvenir végétal météorologique, l’agora, l’odeur de l’heure qu’il est, les étapes de ramasse, rencontres, aléas et états de saleté des choses. La ville se géographise des abandons d’objets dans le quartier, l’âge des éléments du décor ôté, ceux laissés là, l’alarme du rendez-vous sans égarement, le pont dépassé croisant du liège compressé, le retard du poids des encombrants. La boucle phonologique et le calepin visio-spatial de nos promenées dessinent le plan d’acheminement. L’imagerie mentale des choses laissées, rêvées, les trous du paysage que nous occasionnons. La cognition chaude nous amène à décider urgemment quoi sauver. Nous bricolons des subterfuges de stockage.

*

Rêve de ramasse

Je suis à un événement qui rassemble beaucoup de monde, un colloque, un événement culturel ou sportif, ce n’est pas clair. Nous dormons dans des lits superposés fixés au mur en longueur, des cabines très longues. Je m’engage sur un grand terrain de gazon vert, je m’élance en courant jusqu’à l’autre bout, l’horizon infini, sur ma route, je croise des tas d’objets dont j’imagine faire la récolte sur le retour, en mémorisant leur emplacement bien que l’herbe soit une étendue unie, jonchée çà et là de trucs que des petits groupes de gens présents pour l’événement ont laissé traîner.

*
Charte des Dieux
Quelques extraits de principes fondamentaux

Dans le doute, on ramasse tout […]
Dans le doute, on mange tout […]

Tenue de chasse
L’habit se doit d’être confortable, de préférence une taille au-dessus en hiver pour enfiler plusieurs couches permettant la marche des heures au froid. On préférera l’intégrale tenue à partir de pièces trouvées, si besoin raccommodées, auxquelles on coud des poches complémentaires pour transporter outils et pièces d’identité. Les vêtements ne doivent pas risquer d’être sales dans les poubelles, se révèlent faciles à laver. Les accessoires sont à proscrire, à l’exception de pièces à double usage : parapluie, sac de transport, ceinture-poches, canne d’aveugle, tournevis, scie discrète, couteau suisse, manteau, objets pertinents à troquer.

Le vinaigre
Les Dieux de la Ramasse doivent prévoir un budget vinaigre au quotidien, liquide essentiel pour traiter les choses trouvées, remède à bas prix qui limite l’utilisation de produits toxiques de nettoyage. Il faut se préparer à donner lieu à des baignoires de vinaigre, l’odeur y comprise.

Du bon usage du local à poubelles
Le ramasseur est tenu de consulter le local (s’y rendre) à raison d’une fois par jour minimum, le nec plus ultra étant de pouvoir dégager du temps de son planning de chasse, de tri et d’archivage, pour y aller fouiner matin et soir.

Négocier un objet trouvé
Les valeurs éthiques et la galanterie du chasseur lui enjoignent d’user d’un discours cordial, honnête et juste quand il s’agit de
débattre d’un objet trouvé avec un autre ramasseur intéressé, ce, dans le domaine public. Il convient en ce sens d’évaluer les paramètres des trouvailles pour donner raison à l’un ou à l’autre et trouver un compromis face au butin.

De l’art de stocker
Les Dieux vivent au cœur de la capitale dans de petits appartements situés à plusieurs étages. Le problème majeur des chasses quotidiennes étant l’accumulation de choses trouvées dans des espaces restreints. Les chasseurs apprennent quasi-instinctivement ou disons "sur le tas" à dissimuler – faire disparaître – des choses dans leur environnement intime. Ainsi, différentes méthodes de dissolution sont envisagées, modulées, combinées, inventées jusqu’à des perspectives de planque qui débordent sur la cité.

Au sommaire

  • Texte et dessins inédits "Les Dieux de la Ramasse" 
  • Bio-bibliographie
  • Le questionnaire ludique ! [extraits des réponses]
    • Un oloé* ? 
      De l’abord du métro au congé de salle d’attente…
      * Oloé : "espace élastique où lire où écrire" mot créé par Anne Savelli dans son livre Des oloés (publie.net, 2020).
    • Un auteur fétiche ?
      Je m’attelle a minima aux ouvrages de potes…
    • Une bonne résolution pour cette résidence ?
      J’ai hélas (grave) échoué à ce dessein.
    • Une journée type de l’écrivaine au travail ?
      En mouvement transitoire…

Édito

SNG. Natacha Guiller est la lauréate 2021 de l’appel à projets pour une résidence d’écriture numérique, organisé par La Marelle et Alphabetville. Son projet, "Dark Nat et autres presse-papiers", sur lequel elle a travaillé durant son temps de présence à Marseille, en décembre 2021 et janvier 2022, avait pour ambition d’être un laboratoire de réflexion et d’accumulation de matériaux autour de la multiplicité des formes d’écriture, qu’elles soient "manuelles" ou "numériques". Entre cryptages et décryptages, elle use ou brouille de nombreux matériaux, qu’elle les crée ou qu’elle les transmute, du document d’archive au dessin, de la poésie au code, de la parole au détournement d’affiches. Il y était question aussi de traiter ses propres données numériques médicales et personnelles (donc secrètes, protégées) pour, en quelques sorte, les auto-hacker.

Mais SNG. Natacha Guiller propose au sein de cette revue un autre aspect de son travail, un chantier parallèle qu’elle a également poursuivi durant sa résidence. Elle y relate des actions qu’elle mène depuis plusieurs années avec les Dieux de la Ramasse, un projet artistique autour du ramassage de déchets, né d’une rencontre avec Nicola Rebeschini, en 2019, aux prémisses du confinement.

Ces pages (dont nous avons rêvé un temps qu’elles puissent se déplier et s’emboîter… mais la réalité technique et économique a dû réduire nos ambitions !) ne rendent compte que d’une partie du foisonnement de ce qu’elle fabrique sans cesse et en simultané, accumulant les couches et les niveaux de langage, pour, toujours, chroniquer le quotidien, celui de l’intime comme de l’"extime". 

Colette Tron, Alphabetville
& Pascal Jourdana, La Marelle,
mars 2022

La revue radiophonique


La "revue radiophonique", enregistrée en studio à Marseille, puis diffusée sur les ondes de Radio Grenouille et en podcast sur la plateforme Transistor.

Informations

Renseignements techniques

Cette revue est disponible dans sa version papier ou en ligne, au format .pdf téléchargeable.

La revue de La Marelle