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Intense comme un combat de boxe, puissant comme un cri d’alarme, Marin Fouqué opère avec ce roman polyphonique la radiographie d’une société française pulvérisée par le mépris et les rapports de domination.

Made in La Marelle

Marin Fouqué

G. A. V.

Actes Sud, août 2021

Description de l'éditeur

Deux coups de feu ont retenti dans le quartier et les policiers rêvent de mettre la main sur le fauteur de troubles. En attendant, ils ont embarqué Angel, qui n’en est pas à sa première garde à vue. Mais Angel connaît la musique, il ne balancera personne.

Une nuit dans un commissariat, à chaque cellule sa voix : Angel à l’étrange sourire ; une jeune femme soumise au harcèlement quotidien d’un entrepôt ; des émeutiers ramassés à la fin d’une marche pour le climat ; un vieux manifestant brutalisé ; un cadre en dégrisement ; un flic exténué ; un adolescent souffre-douleur… Parias d’une nuit ou d’une vie, ils n’ont rien à déclarer, mais un destin à endosser, des circonstances à ressasser, une colère à exprimer, des espoirs à ranimer.

Intense comme un combat de boxe, puissante comme un cri d’alarme, cette polyphonie livre la radiographie d’une société française pulvérisée par le mépris et les rapports de domination. À travers des personnages aussi violents que tendres, dont l’ardente énergie éclaire les ténèbres de la garde à vue, Marin Fouqué transforme sa rage en chant de révolte collective.

Source : Actes Sud

Extrait

Clef de bras. Une grosse main gantée se pose sur l’épaule gauche tandis qu’une autre saisit le poignet droit. Remonte dans le dos, le long de la colonne, à l’endroit exact où les jointures craquent. Lève. Tire. Tord. Plaque. Au moindre mouvement, déboîte. Déboulé de nulle part, lunettes de soleil, rictus aux lèvres, un type derrière vous, cœur d’après-midi, rue passante. Exhorte. Expire. Braque. Direct, il prend la seconde main et réunit le tout en un bouquet de vingt doigts, deux paumes. Menottes. Inspire. Cardiaque. Serrant fort, appuyant de tout son poids sur votre nuque, il vous pousse d’un grand coup pour que ça avance : tête dans le sac. Vite rejoint par un escadron de crânes rasés, tous habillés civils, habillés sportwear, habillés survêt sacoche et baskets, habillés racailles, habillés sans matricules, habillés pour la course et le camouflage, ils vous jettent à l’arrière du fourgon, pinces aux poignets, fracas des portes qui se referment. Chaque entrave creuse la chair. C’était hier. Le rouge au corps.

Maintenant vous êtes là, dans le couloir gris de ce commissariat, la tête contre le carrelage froid. Pourtant, on vous l’a bien dit, bien martelé et répété : tu n’as rien à déclarer. C’est le type dans la cellule qui vous l’a conseillé pendant la nuit avec les bruits de pas en écho et la banquette en dur aux odeurs de vomi, de sang et d’urine. L’humanité en package. Tu n’as rien à déclarer, quand ils t’emmèneront dans le bureau, surtout, tu n’as rien à déclarer. On vous l’a bien dit et répété. Alors au matin, quand ils viennent vous chercher dans la cage, le ventre vide parce qu’arrivé la veille juste après le dernier passage, service du soir, les trois mots vous tournent dans la tête : RIEN À DÉCLARER. Puis viennent les couloirs, les claquements de portes, la chaleur soudaine, la sueur au cou, les échos peut-être, et les trois mots qui tournaient en boucle dans votre crâne lentement s’humidifient, se diluent, deviennent bouillie, voyelles, consonnes, râles incertains, langue qui s’oublie.

Ils vous mènent à un petit bureau où une dame vous attend derrière un ordinateur avec une foule de questions au bout de ses deux doigts, seulement deux doigts, concert d’index tapant fort et vite sur le clavier, regard fixe sur l’écran, prête à consigner tout ce qui sortira de votre bouche. Le moindre doute, le moindre souffle. Silence surtout. Mâchoire écluse. Tout retenir. Sans vous regarder, elle vous dit qu’ils vont procéder à votre grande identité. Doigts percussifs. Solo sans swing. Techno fin de club. Comme vous refusez de répondre à certaines questions sur votre statut, votre travail, votre étage, votre numéro d’appartement, toujours sans vous regarder, elle efface tout. Grands coups d’index sur la touche Suppr. Tête qu’on enfonce au marteau. Suffoque. Encore sans vous adresser un regard, le ton sec, elle vous annonce qu’elle va donc, au vu de votre coopération réduite et de votre mauvaise foi typique, devoir procéder à votre petite identité : nom, prénom, âge, faits. Vous vous exécutez.

On en parle…