En résidence de création
Méchante belle-mère
Adèle Mesones
[Avec le Goethe Institut]
Le projet d’écriture
Adèle Mesones est la lauréate 2024 de l’appel à projet pour une résidence de création à destination des auteur·rices de bande dessinée Marseille-Hambourg, proposée par le Goethe-Institut, la Behörde für Kultur und Medien Hamburg, les festivals de bande dessinée Comic Festival Hamburg, les Rencontres du 9ème Art d’Aix-en-Provence et La Marelle.
En résidence à Hambourg, Adèle Mesones travaille sur Méchante belle-mère, un récit autobiographique qui explore les dynamiques de pouvoir et de genre dans l’exercice de la violence, ainsi que la sous-estimation de la parole des enfants, tout en insufflant à son récit une dimension féministe et thérapeutique.
Note d’intention de l’autrice
J’ai grandi avec une méchante belle-mère, tout droit sortie d’un conte de fées. Regarder Cendrillon réveille littéralement mon syndrome de stress post-traumatique. C’est une histoire douloureuse, mais vraiment romanesque, alors autant l’utiliser pour écrire une bonne bande dessinée.
Blague à part, et en dehors de l’intérêt thérapeutique d’écrire ma propre histoire, je pense qu’elle soulève des points intéressants sur le féminisme et la maltraitance des enfants.
Mon père a quitté ma mère pour sa nouvelle compagne quand j’avais environ 6 ans. Ils ont rapidement emménagé ensemble, et j’ai vite découvert que ma sœur aînée et moi n’étions pas vraiment les bienvenues dans cette maison. Elle nous criait dessus pour des broutilles et décidait seule de ce que nous avions le droit de faire ou non. Au fil des ans, la situation s’est aggravée. Par exemple, elle contrôlait notre façon de nous habiller (en choisissant pour nous des vêtements usés dans les greniers de sa famille), nous dénigrait ou nous humiliait en permanence, et bien sûr, comme toutes les méchantes belles-mères, elle nous forçait à passer tout notre temps libre à faire des tâches ménagères (puis nous criait dessus après, car ce n’était pas fait comme elle l’avait voulu).
Mon père ne faisait pas grand-chose. Il me disait qu’il ne pouvait pas choisir entre ses enfants et son amour. Parfois, il la confrontait lorsqu’il pensait qu’elle était un peu trop virulente, comme cette fois où il l’a vue me frapper avec un torchon. À 12 ans, j’avais perdu tout espoir qu’il la quitterait, aucune violence ne semblait assez grave pour franchir sa limite. L’abus et le harcèlement ont duré des années, affectant lentement mon estime de moi.
À 15 ans, j’ai finalement demandé à passer moins de temps chez mon père et à ne venir que tous les autres week-ends. Je me souviens du soulagement de pouvoir, au moins, choisir mes propres vêtements les jours d’école.
À 16 ans, alors que ma belle-mère était absente pour le week-end, mon père nous a rassemblées, ma sœur et moi, pour nous parler. Il nous a annoncé qu’il l’avait quittée. Je me souviens ensuite être allée à l’épicerie. J’ai levé les yeux vers le ciel, qui me semblait si lumineux et immense. C’était comme découvrir la liberté.
Je compte raconter ces histoires en me basant sur mes souvenirs et ceux de ma sœur, ainsi que sur mon journal personnel que j’ai tenu quotidiennement de mes 13 à mes 16 ans. Je veux aussi parler des conséquences qui ont perduré après la séparation : comment cela a affecté ma relation avec mon père et comment j’ai géré le traumatisme.
J’ai remarqué que mon histoire est loin d’être unique, et j’ai rencontré d’autres personnes qui ont vécu exactement la même chose. Le schéma est toujours similaire : la belle-mère déteste les enfants issus de la relation précédente. Elle est psychologiquement violente, contrôle l’espace, souvent les vêtements, et évidemment, oblige les enfants à faire des tâches ménagères, puis se plaint de la manière dont elles sont effectuées. Si elle a ses propres enfants, elle ne les traitera pas de la même manière. Si l’abus dure pendant des années, cela conduit parfois à des violences physiques.
Dans ma bande dessinée, j’aimerais confronter ces histoires à la mienne, et rencontrer et interviewer les personnes que je sais avoir vécu la même chose. Le trope de la méchante belle-mère est la principale représentation que nous avons des belles-mères, mais il n’est pas représentatif de la majorité des expériences. Il véhicule beaucoup de stéréotypes misogynes, mais, par exemple, Madame de Tremaine dans Cendrillon est une représentation assez réaliste de ce que j’ai vécu. Il y a une ressemblance frappante entre mon histoire, d’autres histoires similaires que j’ai entendues, et les contes de fées avec lesquels nous avons grandi.
En raison de cette surreprésentation dans la culture populaire, de nombreuses féministes ne voudraient pas ajouter d’autres histoires de belles-mères méchantes. Mais il est important de réaliser que cela représente fidèlement la réalité que certains enfants ont vécue, et ce n’est pas parce que tout le monde connaît Cendrillon que nous avons été entendus et protégés de cette violence. Je suis convaincue qu’il y a un intérêt féministe à raconter cette histoire. Personne ne semblait vraiment prendre nos paroles au sérieux, car notre société a du mal à entendre les enfants lorsqu’ils parlent de maltraitance, et parce que les violences psychologiques sont souvent minimisées.
La figure paternelle est également un problème, ils semblent toujours très passifs. Pourquoi ne protégeraient-ils pas leurs propres enfants alors qu’ils sont souvent les seuls témoins des violences ? Cela m’interroge aussi sur l’impact des rôles genrés sur les agresseurs. Les belles-mères méchantes ne blessent jamais ou rarement physiquement. Elles semblent détester leurs beaux-enfants par jalousie, ou peut-être parce qu’elles veulent anéantir tout ce qui existait avant la relation avec le père. Quelles violences spécifiques ont-elles elles-mêmes vécues pour nourrir une telle haine envers des enfants ?
Ce sont les points que je veux soulever en racontant l’histoire de ma méchante belle-mère.
Mon objectif est d’entrelacer l’intimité avec des enjeux politiques. Je suis inspirée par le travail de l’écrivaine Annie Ernaux, et par des auteurs de bandes dessinées qui parviennent à rendre leur propre vie intéressante à lire en apportant de la distance et de l’humour à leur histoire, comme Riad Sattouf, Alison Bechdel ou Julia Wertz.
Adèle Mesones
Le lieu de résidence
La résidence d’Adèle Mesones a lieu à Hambourg.
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