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© Melina Fellini

Journal de bord #15

Carnet de résidence

Maaï Youssef

1 Mars 2022

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Travaux de résidences

Deux fois par semaine depuis la Villa Deroze, Maaï Youssef écrit à Lucille Dupré, son amie autrice qui vit non loin sur l’île de Porquerolles. Lucille est une jeune mère qui peine à garder une place pour la création. Maaï, de son côté, a l’espace nécessaire, mais pas les enfants. Chacune d’un côté de la mer, elles se racontent leur quotidien et décortiquent ensemble les liens entre maternité et écriture, chambre à soi, désir d’enfant et solitude. Textes, images, sons… Voilà leur journal de bord.

Mardi 1er mars 2022, 15h12

Maaï jolie

J’avais si peur de cette dernière lettre que j’ai failli l’oublier. Je viens de réaliser dans un sursaut de panique que nous étions mardi, alors que depuis des jours je rumine ce dernier journal de bord.

Comment conclure ? 

Depuis ce matin, j’essaye de rédiger une synthèse de tout ce que nous avons écrit ici depuis début janvier et la tâche n’est pas facile. Je tourne dans ma tête des définitions de la maternité, de l’identité, du deuil, de la joie.

Voilà.

Je suis allée chercher mon Art de la joie, de Goliarda Sapienza. J’avais trouvé un passage parfait où son héroïne, Modesta, expliquait qu’il fallait laisser les enfants libres, libres surtout de ne pas avoir à vous aimer en retour. Évidemment, je ne retrouve plus ce passage, là tout de suite, mais tandis qu’on lui dit qu’il faudrait qu’elle se lève, qu’elle aille surveiller ses enfants, s’en occuper, elle ne bouge pas d’un iota et rétorque quelque chose comme : pour un jouet et un bout de pain, les enfants doivent payer un prix de l’amour bien trop élevé et lourd et ce n’est pas juste. 

Et toc contre la culpabilité. Merci Goliarda.

Un peu d’air, de liberté et de joie. Je crois que c’est sur ça que j’ai envie de finir.

Je n’ai pas envie de replonger, j’ai envie d’aller m’asseoir avec toi sur la rive. On pourrait se faire un pique-nique, manger un bout de scarmoza fumée avec un verre de Barolo, on aurait chacune notre bol de grosses olives vertes, des Bella di Cerignola, pour ne pas avoir à se les partager et on jetterait les noyaux dans l’eau. 

D’un coup on serait vieilles et on entendrait le murmure des rires de nos familles qui s’amuseraient un peu plus loin. On tendrait nos visages pleins de rides vers le soleil et on fermerait les yeux et puis on se dirait, comme à la fin de l’Art de la joie :

— Tu dors, Modesta ?
— Non.
— Tu penses ?
— Oui.
— Raconte, Modesta, raconte.

Je t’embrasse fort, la belle,

Lucille

15 Image Lucille 1 copyright La Filature c4467
15 Image Lucille 2 Les plages dAgnes Varda b0bc4
Mardi 1er mars, 17h50

Ma Lucille,

Hier matin, alors que je prenais le petit-déjeuner à la gare Saint-Charles avec mon père, il m’a raconté que plus jeune, au Caire, il écrivait les lettres d’amour de ses amis. Il était l’expert du quartier en lettres à effet romantique garanti. Mon père, tombeur de l’ombre, poète adolescent, cette vision me fait rire et sourire. J’aime tellement mon père. Depuis qu’il vit à Marseille, à la fin de nos rendez-vous, je le regarde s’éloigner quand chacun part dans une direction, et à chaque fois mon cœur se fend. Mais c’est une autre histoire… Ce que je me disais en repensant à cette anecdote des lettres d’amour, c’est que moi aussi j’écrivais les lettres, les sms à l’époque millimétrés, de mes amies à leurs amoureux. Écrire des lettres serait donc une histoire de famille. Cette perspective me plait. Dans cette famille, où on a tant de mal à vivre de manière apaisé l’amour filial, on sait au moins écrire l’amour tout court.

Il y a des lettres plus faciles que d’autres à écrire, aujourd’hui c’est un peu difficile. Est-ce-qu’il faut tirer des conclusions à notre correspondance ? Faire un bilan ? Je l’ai un peu fait dans notre dernier échange (journal #14) et je suis incapable de le faire davantage car j’ai envie que l’on reste ensemble, en chemin, parce qu’il y a encore tant à dire, à défricher, à discuter. Alors je me suis dit que j’allais t’emmener avec moi dans ce retour à Lausanne, te raconter. Ce retour à Lausanne est un mélange de joie, de douceur et d’angoisse, et si je suis honnête, c’est cette dernière qui l’emporte, pour l’instant, sur le reste. Ce sera sans doute différent à la fin de cette lettre car écrire adoucit tout. Pour l’instant, revenir à Lausanne est difficile parce que je ne peux pas écrire "ce retour à Lausanne où je vis", "ce retour chez moi". Je vis ici par intermittence, je vis ici en dilettante, en clandestine, je vis surtout ici dans l’ombre de ce que mon amoureux construit de très beau. Je vis ici par procuration, je ne vis pas officiellement ici. Depuis que nous avons quitté la Bretagne à l’été 2020, je ne vis plus nulle part vraiment. Je n’ai plus d’adresse véritable, j’erre, et souvent c’est toi qui as adouci mon errance en m’offrant l’hospitalité à la cabane-citron. Ce n’est pas un nomadisme choisi, plutôt un enchaînement de circonstances diverses, qui a fait que les choses se sont mis en place comme ça, "comme ça", c’est-à-dire d’une façon bancale, le fameux temporaire qui dure. Je travaillais encore en France, et, pour diverses raisons, là encore, j’y étais la plupart du temps, être ici pour de vrai m’aurait davantage précarisée qu’avantagée, et je ne pouvais pas prendre ce risque.

Je suis arrivée hier à Lausanne, éblouie par la brume dorée sur le lac. J’avais oublié comme c’était beau. Une fois rentrée à l’appartement, j’ai pu admirer le coucher de soleil depuis notre salon. Le scintillement de ce soleil d’hiver sur le lac assure une continuité lumineuse entre la Villa Deroze et notre immeuble ocre de Montelly. J’ai tout de suite eu besoin de mettre en évidence les livres achetés et reçus en cadeau pendant mon séjour ciotaden. Comme une preuve, des témoins : je n’ai pas rêvé, j’ai trouvé un chemin et je vais le poursuivre. Quand j’arrive dans ce "chez moi" qui n’est pas tout à fait chez moi, je sens s’abattre sur mes épaules l’usure, la lassitude, quelque chose se serre dans ma poitrine et m’empêche de respirer. J’ai l’impression d’être invitée à regarder un banquet sans avoir le droit de goûter le moindre plat et encore moins de manger à ma faim. Cette métaphore n’est pas anodine, depuis le début de ma vingtaine, je n’ai quasiment rien connu d’autres que des configurations précaires, où tes besoins fondamentaux (santé, nourriture, habitat) ne sont pas assurés sereinement. J’ai été une étudiante fauchée, ballotée d’un logement précaire à un autre, jamais sûre de pouvoir le payer, jamais sûre non plus de manger à sa faim. J’ai démarré ma carrière professionnelle avec un métier que les politiques étatiques piétinent depuis des années, nous laissant exsangues, vidés de nos forces et de nos espoirs de transmettre dignement. J’en garde des troubles et des peurs que j’ai du mal à gérer.

Depuis quelques années, je vis grâce à l’amoureux une vie dont je ne pourrais pas payer les traites sans lui. Je lui dois le confort d’un logement, l’assurance d’un frigo rempli, les plaisirs qu’il se saigne pour nous offrir, quitte à sans cesse se priver lui de profiter de la prospérité qu’il sait créer. Moi, la grosse féministe de service, je suis une meuf entretenue. Ni plus, ni moins. Certain·e·s écriraient ici la liste de leurs diplômes pour prouver comme cette situation est délirante mais je ne crois pas que ce soit une justification à revendiquer une vie décente, à revendiquer plus de dignité. J’ai des diplômes parce que j’ai eu les moyens d’y prétendre. Mais dans ce pays aujourd’hui, on peut contribuer à satisfaire les besoins fondamentaux d’une population (je pense à l’éducation, à la santé, à la production de notre nourriture, au bon fonctionnement de nos infrastructures et institutions collectives), et ne pas pouvoir finir le mois sans être dans le rouge, sans avoir la boule au ventre, sans avoir dû puiser de manière outrancière dans ses propres ressources vitales pour le bien public. Ce que je vis est d’une banalité à mourir, peu importe mon parcours, peu importe l’"utilité" abjecte à laquelle je peux prétendre. Le fait est que personne ne devrait arpenter péniblement le quotidien.

Avec l’amoureux, ces dernières années, on savait bien ces déséquilibres mais on s’est serrés les coudes (je devrais plutôt dire l’amoureux m’a prêté ses coudes, ses bras et ses épaules), parce qu’on voulait que j’y arrive, que je devienne docteure. Lui et moi sommes ce qu’on appelle des "transfuges de classe", on n’était pas prédestinés à traverser les mondes qu’on a traversés. On est une équipe de déters, une équipe de sauvages de la réussite, on défie les lois de la gravité sociale. Ce déséquilibre matériel entre nous, ça nous a sans cesse pesé. Je n’ai jamais pu m’y faire, vivre cette situation sereinement. J’ai passé mon temps à pleurer, à être en colère, à pester, à ronger mon frein, à lui rabattre les oreilles avec le scandale de la décrépitude des services publics, des inégalités hommes-femmes, du sexisme et du racisme structurels qui gangrènent les institutions universitaires, académiques, le marché du travail plus généralement. Je ne peux pas me conformer à vivre comme ça, je ne peux pas m’y faire, "profiter" que mon amoureux assure financièrement et attendre que ça change. Je n’en peux plus, la colère, la culpabilité et la peur m’ont grignoté jusqu’à l’os. Depuis que J. travaille en Suisse, les écarts entre nous ont explosé et rentrer à Lausanne, c’est se prendre cette réalité "augmentée" au visage. Ici, j’ai encore moins qu’en France les moyens de contribuer à notre vie, qui n’est même pas vraiment ma vie. La gifle brûle même quand on la connait par cœur. J’exècre cette situation, je ne peux plus me regarder dans la glace, je ne vois que ça : "je ne suis pas véritablement indépendante financièrement". Et je pense que c’est le nerf de la guerre ça aussi, et que quand on n’est pas indépendante financièrement, on peine à l’être à bien d’autres égards.  

Pourquoi je te dis tout ça ? Pourquoi mettre sur la table des choses si désagréables et qu’on préfèrerait garder pour soi ? Parce qu’ici on parle d’écritures, de maternités, de ce qui se jouent pour nous à cet endroit. Et si je vis cette vie-là, cette vie de chercheuse, de doctorante sur-précarisée, c’est en grande partie parce que j’avais choisi ces dernières années un métier d’écriture. C’est ce que l’écriture me coûte, c’est ce que vouloir être libre de faire ce que j’aime me coûte et coûte à mon amour. En devenant mère, l’étau pourrait se resserrer, je ne serais plus simplement une femme entretenue, je serais une mère entretenue, une mère qui ne serait pas en mesure de garantir à son enfant de subvenir à ses besoins sans son père. Et à cet endroit-là, il y a un risque encore plus grand de glissement, parce qu’on connait la chanson, les désirs, les aspirations, les carrières, les plaisirs, la liberté des femmes mères passent à l’as très souvent car elles ne pèsent pas assez lourd financièrement pour que soit respectée l’intégrité de leur individualité. Si je suis honnête, je n’ai pas eu cet éclair de lucidité par moi-même, c’est l’amoureux qui m’a dit un jour : "mais si cette situation ne nous convient pas, comment ce sera quand on aura des enfants ? On sait que ce sera encore pire, on doit trouver des solutions maintenant pour empêcher ça". Je l’aime. La première solution qu’on ait trouvée, c’est de me prendre une place dans un atelier d’artistes, m’assurer une chambre à moi hors du foyer, que l’amoureux ne soit pas le seul à pouvoir se tailler au taf (quand on est une doctorante nomade, on travaille à la maison, le confinement m’était familier avant la pandémie…) La deuxième, ça a été de tout donner ensemble pour finir ma thèse et que les lignes puissent bouger, puisque c’est elle qui entrave mes possibles professionnels (autant qu’elle les garantit, c’est le serpent qui se mord la queue). La troisième, elle dépend de moi : comment je veux (mieux) gagner ma vie tout en continuant d’écrire et où est-ce-que je veux le faire ? Répondre à ces questions, voilà mon programme des prochaines semaines. Je ne dis volontairement pas "des prochains mois" parce que j’ai envie que ce soit une affaire de semaines. Je ne veux plus avancer en courbant l’échine, j’ai besoin d’avoir la tête haute, j’ai fait assez de sacrifices.

Une vie de mère, une vie d’écriture, ce sont des choses qui nécessitent d’inventer, d’imaginer de nouvelles façons de faire, de lutter en permanence pour ne pas se laisser piéger. On pourrait remplacer "vie d’écriture" par n’importe quoi qui ne soit pas une vie de compromis féminins. Ce matin, alors que j’avais le cœur lourd comme une pastèque pleine d’eau, j’ai fini le deuxième volet de l’autobiographie en mouvement de Deborah Levy, Le Coût de la Vie. À la fin, elle évoque l’histoire d’une femme mexicaine qui avait migré dans sa jeunesse aux États-Unis. La femme disait "J’ai traversé la frontière seule, je suis venue en sentant l’obscurité noire et bleutée, le hurlement des coyotes, le bruit des plantes". Et Deborah Levy raconte comment ces mots ont ouvert "un grand espace" en elle. Elle écrit :

Quand une femme doit trouver une nouvelle façon de vivre et s’émancipe du récit sociétal qui a effacé son nom, on s’attend à ce qu’elle se déteste par-dessus tout, que la souffrance la rende folle, qu’elle pleure de remords. Ce sont les bijoux qui lui sont réservés sur la couronne du patriarcat, qui ne demande qu’à être portée. Cela provoque beaucoup de larmes, mais mieux vaut marcher dans l’obscurité noire et bleutée que choisir ces bijoux de pacotille.

Hier soir, pour me rassurer sur la lumière au bout du tunnel qui est de plus en plus vive et grâce aux sous que j’ai gagnés à La Marelle, j’ai pris un abonnement illimité d’un mois dans un studio de yoga que j’aime. C’est étonnamment abordable pour la Suisse mais je suffoquais quand même dans la culpabilité à l’idée de le faire. J’ai tout de suite réservé un cours pour ce midi et je me suis dit que je ne t’écrirai pas sans y être allée. J’ai toujours peur des activités comme ça, hors de chez soi, dans des lieux inconnus, je préfère faire du terrain en milieu hostile que d’aller prendre un cours de yoga, de poterie ou de natation… ! Je me sens toujours déguisée dans le loisir, je me demande toujours ce que je fais là, au milieu de ces gens sains et équilibrés, à me complaire dans la futilité. Il y a toujours cette petite voix (Inquisiteur !) qui me répète que "la vie c’est pas ça", que "la vie c’est dur", que la vie c’est le combat et l’engagement… Pas le chien tête en bas. J’ai choisi le yoga pour être certaine de respirer régulièrement et de ne pas rester en apnée pendant des semaines. Et aussi parce qu’il n’y a quasiment que des femmes, qu’il y a des bougies à chaque cours et qu’on a le droit d’être nulle. Je me suis promis que j’allais y aller beaucoup cette semaine, pour prendre soin de mon retour, pour prendre le temps d’incorporer toutes les choses merveilleuses qui me sont arrivées dernièrement et ne pas me ruer dans la suite de mon travail sans transition. Ne pas quitter la résidence comme j’y suis entrée. Si je veux prendre soin de ma vitalité, de mon corps qui me tient debout, de mon cœur qui palpite d’appréhension face aux défis qui sont les miens, il faut que ce geste d’attention de moi à moi devienne familier, que j’apprenne ça : me dire que j’ai le droit de me veiller, de m’envelopper de paillettes et de tartes au citron. Que j’atterrisse dans cette nouvelle vie qui irradie la joie, les promesses, les accomplissements, le triomphe qu’on s’est promis toi et moi.

À mesure que les participantes s’installaient sur leur tapis, la prof du jour venait vers chacune en lui proposant de déposer un peu d’huile essentielle sur ses poignets. Elle répétait la même phrase : "Au début de la pratique, j’aime bien proposer un peu d’huile essentielle. Aujourd’hui, c’est du cèdre pour l’ancrage". Une des participantes lui a demandé très sérieusement : "Excuse-moi, je n’ai pas bien entendu, tu as dit “c’est contre la rage” ?" J’ai explosé de rire. Ce raté improbable dans la communication mielleuse du monde parfait du studio, où tout n’est que bonnes intentions, ouverture du cœur et périnée au taquet, m’a rassuré. On a besoin de douceur non pour nourrir la rage ? On a besoin de s’huiler les poignets pour être prêtes à la riposte. Ce n’est plus à nous de reculer. Certaines personnes ont peur de nos voix qui scandent la fin d’un monde dont on ne veut plus. Elles ont raison d’avoir peur, moi aussi à leur place j’aurais peur, la défaite, ce n’est pas rassurant.

À la fin du cours, une grande fille blonde est venue me parler. Elle avait un air très doux, un accent slave que je ne connaissais pas, et elle était décidée à échanger avec moi. Elle a fait une ou deux tentatives, que j’ai laissé glisser sur une espèce de fatigue méfiante : "Euh, qu’est-ce-que tu me veux ? Je ne fais pas partie de votre monde, je squatte un peu parce que je suis lessivée mais moi j’ai le seum et je suis raide comme un piquet." Elle ne s’est pas démontée, elle a continué, plus directe. Elle m’a demandé ce que je faisais dans la vie, j’ai dit : "J’écris". Son visage s’est illuminé, elle a demandé si elle pouvait lire, j’ai dit que oui. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait elle, elle a répondu : "je suis photographe". C’est mon visage à moi qui s’est illuminé. On a parlé de photographie, des métiers qui font voyager, elle a dit que ce qu’elle aimait elle c’était photographier les gens, c’était comprendre l’être humain. On s’est dit qu’on irait boire un café. J’ai titubé jusqu’à un bar où je savais pouvoir t’écrire, j’ai posé le livre de Déborah Levy à côté de moi pour te recopier le passage dont je voulais te parler. Une autre grande fille blonde, assise à côté de moi, s’est mise à me parler. Elle aime les lettres, elle n’a pas osé dire qu’elle écrit, elle croit qu’elle ne sera jamais publiée. On a échangé nos coordonnées. Elle m’a briefé sur comment trouver des missions d’enseignement. On s’est dits qu’on irait boire un café. La vie à Lausanne, c’est aussi et surtout ça, des gens, partout, tout le temps, disponibles, chaleureux et stimulants. Peut-être qu’il est temps de sauter le pas ? D’oser appartenir ? D’avoir confiance dans le fait que je trouverais bientôt un emploi qui m’enracine, m’enthousiasme, rende mon écriture et les projets qui lui sont liés plus libres ?

Ma Lucille, on en a levé des voiles, on en a brisé des silences en quelques semaines. Quand j’ai fait le bilan de ma résidence, je me suis dit "tiens, tu as écrit un autre livre que ton roman sans t’en rendre compte". Un livre à deux voix qui montre ce que ça rend possible la sororité en actes, l’alliance de nos forces, l’audace de choisir de se raconter ensemble. Je crois fermement que c’est parce que les choses sont dites qu’on peut agir sur elles. On a dit des choses intimes, complexes, exigeantes, tristes aussi, on a dit des choses dont la réalité dépasse largement nos expériences individuelles, on a tissé de l’intime pour faire de l’ensemble. On a dit des choses crues, des choses alambiquées et hésitantes, on a tâtonné, on a été frontales. On a rassemblé nos trajectoires, nos expériences, dans un même dialogue, on a joué l’unité contre le discordant. On a parié sur l’effet d’entraînement, chacune autorisant l’autre à aller plus loin, à se sentir légitimes. On a montré que la vie, la mort, la joie, la rage, la danse, la tétanie, le brûlant, le lancinant, que tous ces contraires pouvaient cohabiter dans nos vies ordinaires. Marguerite Duras dit "l’écrit ça arrive comme le vent", merci d’avoir partagé avec moi ton mistral.

Je t’aime très fort mon amie grande. Et j’ai envie d’appeler la moi de treize ans pour qu’elle te dise le mot de la fin qu’elle m’écrivait déjà en 2001 dans ses lettres à l’avenir : T’ES LA MEILLEURE !!!!!!

M.


PS Merci lecteurices complices d’avoir expérimenté cette correspondance avec nous. C’était doux d’être ensemble. Continuez à nous écrire. 

15 Image Maai Copyright Melina Fellini 2e790

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