Skip to main content

"Le chien a été l’expérience biologique la plus longue que l’homme a réalisée." Société d’ethnozootechnie.
Espèces

La première chose que je peux vous dire…

Emmanuel Rabu

Revue #96

Avril 2022

La première chose que je peux vous dire…

La première chose que je peux vous dire c’est que la phrase de Romain Gary ordonne un suspense narratif et que mon texte est distribué autrement.

"Espèces", extraits

"Les animaux n’ont pas les mêmes images ou les mêmes perceptions passives des apparences des choses. Or il est aisé de remarquer qu’il y a une grande diversité dans les perceptions et dans les sensations des animaux, si l’on considère leur origine déférente et la diversité qui se rencontrent dans les constitutions de leurs corps."
Sextes Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes.

***

Sarah Connor : [awakens from a dream while hiding inside a cave not from the road] I was dreaming about dogs.
Kyle Reese : We used them to spot Terminators.

Les animaux qui ouvrent et ferment les deux grands poèmes épiques grecs sont des chiens.

"Un son terrible jaillit de l’arc. Il s’en prend aux mulets d’abord, ainsi qu’aux chiens rapides. Après quoi, c’est sur les hommes."

Au début de l’Iliade, ce sont des chiens et des mulets, qui font office de boucliers, de membres avant-coureurs aux événements tragiques vécus plus tard par les hommes. Ils ont la fonction d’annoncer, d’anticiper ce qui va arriver.

À la fin de l’Odyssée, Ulysse fait l’expérience d’une hiérarchie de la reconnaissance. Il se présente à Télémaque.

Mais le premier à reconnaître Ulysse malgré le temps passé et le subterfuge de son camouflage physique, c’est Argos, son chien, vieux de vingt ans qui meurt sur le coup. Il sera reconnu ensuite par sa nourrice via sa cicatrice puis par Pénélope (via l’énigme de la constitution du lit). Argos n’a besoin d’aucun signe extérieur pour le reconnaître, d’aucune singularité du passé, sa reconnaissance est directe, indépendamment du temps et au-delà des apparences.

***

Il y avait, dans la région de Thèbes, un renard "dont il fut prédit que personne ne l’attraperait jamais" (Apollodore), il terrorisait la région. On lui sacrifiait des jeunes gens afin qu’il ne soit pas plus exigeant encore. Pour s’en débarrasser, on envoya Lélaps, un chien nourri par Diane [dont elle dit qu’aucun autre ne "l’égalera dans sa course rapide" (Ovide) ; dont "un arrêt du destin voulait qu’il attrapât tout ce qu’il poursuivait" (Apollodore)]. Ovide décrit une course longue entre les deux animaux. Leurs dons s’annulent et bloquent l’issue de la poursuite. Les deux canidés sont transformés en statues de marbre. C’est une réponse biologique : face à une aporie du vivant, il y a un changement de nature. D’un point de vue narratif, la course de Lélaps et du renard de Teumesse s’achève de manière décevante, comme le dénouement de certaines séries aujourd’hui. Mais cette suspension du récit, laissant après une cryogénisation au futur la possibilité d’une reprise de l’action et sa résolution, dessine aussi – dans la danse du sauvage et du domestique – l’utopie d’une relation ni de prédation ni parasitairement prothétique. "L’unique alternative que l’on offre déjà non seulement aux espèces mais aussi aux familles et ordres animaux, c’est la domestication ou l’extermination." Lewis Henry Morgan, Le castor américain et ses ouvrages en 1868.

#renard de teumesse #chiens de lelaps #expérience de Beliaïev #domestication

"Le chien a été l’expérience biologique la plus longue que l’homme a réalisée."
Société d’ethnozootechnie.

Des mutations généralement non conservées au cours de l’évolution : nanisme, absence de poils, incurvation des oreilles, face plate. Le chien norvégien de macareux possède un doigt surnuméraire. "Le cartilage du pavillon possède la faculté de pouvoir se rétracter, de sorte que l’oreille se plie et se rabat de manière spécifique, soit vers l’arrière, soit à angle droit vers le haut afin de fermer le conduit auditif." Fédération cynologique internationale.

#raciation #hypertypes #bouledogue #El Rey Magnum #sphinx

Au sommaire

  • Texte et dessins inédits "Espèces", extraits 
  • Bio-bibliographies
  • Le questionnaire ludique ! [extraits des réponses]
    • Un coup de cœur artistique ? 
      Godzilla
       et l’année 1954 du cinéma japonais.
    • Un auteur fétiche ?
      Après quelques précautions (et citant Godard) : les albums de bande dessinée que j’ai lus quand j’étais enfant – TintinLucky Luke et Astérix (avec Goscinny), Gil JourdanBoule et BillLes Schtroumpfs, etc.

Édito

Espèces. C’est le nom du projet. Emmanuel Rabu y poursuit le développement de son écriture hybride, à la jonction des flux du verset philosophique, du poème hypergraphique, de l’essai documenté, de la fiction… à la jonction des formes de l’écrit. On ne peut que le remercier d’avoir accepté de tester ici ces quelques premières pages.

Premières pages, certes, mais pas premiers textes. À vrai dire, écrire, au sens de donner la première forme, n’était pas pour Emmanuel Rabu l’objectif de cette résidence. Comme il s’en est lui-même expliqué dans sa note d’intention puis lors du déjeuner d’accueil à Marseille, le véritable enjeu de ce séjour de deux mois est d’effectuer le travail de montage nécessaire pour donner la forme d’un livre à un ensemble considérable de textes fait de citations, de commentaires, de compte rendus d’observation, de précisions érudites, de descriptions, de réflexions critiques, de fragments variés accumulés depuis plusieurs années autour de la question des relations entre êtres humains et êtres animaux que l’époque a rendu cruciale.

Tel un biologiste explorant les bouillons acides d’un lac volcanique à la recherche des organismes capables d’y vivre, Emmanuel Rabu pousse le poème vers ses conditions de vie extrêmes en mettant à l’épreuve sa disponibilité à l’étude, à la connaissance, à la contemporanéité du tragique jusqu’à peut-être proposer quelque chose comme un savoir poétique, forme verbale inédite qui ouvre un chemin de survie émotionelle et intellectuelle.

Et à le lire, on découvre qu’en poésie l’extrémité du possible est à la fois historique et instructive, libératrice et critique, comique et plastique, autant de dimensions dont il s’agit de "distribuer autrement" les aspects afin de maintenir l’exigence de "l’audace artistique".
Un jour, on dira : "Les Espèces, de Rabu."

Michaël Batalla
directeur du Centre international de poésie Marseille

La revue radiophonique


La "revue radiophonique", enregistrée en studio à Marseille, puis diffusée sur les ondes de Radio Grenouille et en podcast sur la plateforme Transistor.

Informations

Renseignements techniques

Cette revue est disponible dans sa version papier ou en ligne, au format .pdf téléchargeable.

La revue de La Marelle