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J’avais dans ma besace non seulement Jack London, qu’on ne présente plus, mais aussi Alphonse Boudard (1925-2000) qui découvrit la littérature en prison (il était "perceur" de coffre-fort). Et Edward Bunker (un braqueur américain qui publia des polars et joua dans le premier film de Quentin Tarantino, Reservoir Dogs). Aucune bête aussi féroce est un chef-d’œuvre du genre (roman noir). Les vagabonds des étoiles

La première chose que je peux vous dire…

Guillaume Chérel

Revue #89

Avril 2022

La première chose que je peux vous dire…

La première chose que je peux vous dire c’est que la réalité est toujours plus forte que la fiction.

Les vagabonds des étoiles, extrait

La première chose que je peux vous dire, c’est que je n’en menais pas large, le premier jour où je suis arrivé à l’entrée de la prison du Pontet-Avignon. Au moment de montrer patte blanche, au sas de sécurité, j’ai dû sortir un certificat médical, prouvant que je portais bien une prothèse de hanche. Ce n’est pas tout, j’ai également une grille de protection pour hernie inguinale. Autant vous dire que je "sonne" comme une alarme de banque à tous les portiques de sécurité. Que ce soit à l’entrée des musées, des préfectures, et surtout des aéroports, où j’ai le droit à une palpation systématique. Les surveillants, de faction à cet endroit stratégique, m’ont passé à la "paluche" (qui détecte les métaux encore plus précisément), laissant patienter des familles, venues pour le parloir. Déjà que je ne passe pas inaperçu (je mesure 1,95 m), je me suis fait remarquer. Ils ont fini par me surnommer Wolverine... Bref, j’avoue que lorsque les portes (blindées) se sont refermées derrière moi, je n’avais qu’une hâte : qu’elles s’ouvrent à nouveau. Il ne faut pas être "claustro". Des paliers de décompression sont à respecter, comme en plongée sous-marine. Il faut bien respirer… expirer. Être le plus zen possible… Et faire comme si… Comme si tout était "normal". Comme à l’extérieur. En liberté.

Et pourtant… "Guillaume, n’oublie pas que tu es en milieu carcéral", je ne cessais de me répéter, tant je me suis rapidement senti à l’aise, avec les détenus (on ne dit pas "prisonnier"), quasiment devenus des collègues de travail. "Les mots ne construisent pas les murs", dit un proverbe grec. J’ai donc passé mon temps à relativiser. Même quand certains détenus commençaient à me raconter leur vie, donc la raison de leur présence en ces lieux clos : "Point trop d’empathie" m’avait conseillé l’ami Cédric, un collègue, auteur de polar qui a déjà sévi chez les "taulards". J’ai aussi écouté l’un des rares écrivains à être passé de l’autre côté des barreaux, j’ai nommé René Frégni, aujourd’hui publié chez Gallimard (s’il vous plaît !) : "Reste toi-même" m’avait-il suggéré. C’est ce que j’ai fait. Ma "mission", entre autres, était d’aider à "redynamiser" la bibliothèque où se sont déroulées la plupart de nos rencontres littéraires (plutôt bien achalandée soit dit en passant : j’y ai vu du Orhan Pamuk, par exemple, ce grand écrivain turc, mais aussi d’excellents romans graphiques, je ne suis pas arrivé seul). J’avais dans ma besace non seulement Jack London, qu’on ne présente plus, mais aussi Alphonse Boudard (1925-2000) qui découvrit la littérature en prison (il était "perceur" de coffre-fort). Et Edward Bunker (un braqueur américain qui publia des polars et joua dans le premier film de Quentin Tarantino, Reservoir Dogs). Aucune bête aussi féroce est un chef-d’œuvre du genre (roman noir). Je l’ai commandé, pour la bibliothèque, avec d’autres ouvrages plus soft. J’y ai vu certains de mes livres, dont Prends ça dans ta gueule ! Le SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) a de l’humour... Comme les détenus.

Au sommaire

  • Texte inédit "Planète–prison, un aller-retour"
  • Bio-bibliographie

Édito

Entre 2018 et 2020, l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur a proposé à La Marelle d’accompagner des projets de résidences artistiques en milieu carcéral. Mises en place dans le cadre de sa mission de développement de la lecture et de modernisation des bibliothèques carcérales, ces résidences ont été le fruit d’échanges atypiques et inspirants, tant pour les artistes invité·e·s que pour les participants : une semaine de présence chaque mois dans l’établissement pénitentiaire, pendant laquelle l’auteur·trice était invité·e à assister, voire participer, aux activités de l’établissement, à proposer des discussions, des lectures ou des ateliers. Dans chaque établissement participant, le service pénitentiaire d’insertion et de probation a élaboré avec l’auteur·trice un programme détaillé et un projet commun, en adéquation avec le projet d’établissement.

Guillaume Chérel a effectué sa résidence au centre pénitentiaire du Pontet. Lorsque sa résidence a dû être interrompue en raison de la crise sanitaire, il a maintenu le lien en envoyant aux détenus des vidéos dans lesquelles il continuait à partager ses lectures et ses admirations littéraires. Guillaume Chérel a fait valoir avec énergie et enthousiasme, tout au long de ces semaines en dedans et en dehors de la prison, la force libératrice de la lecture et de l’écriture.

Marina Pollas
coordinatrice de la mission Culture/Justice de
l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur
& Fanny Pomarède
directrice de La Marelle

Informations

Guillaume Chérel était en résidence avec La Marelle et l’Agence régionale du Livre Provence–Alpes–Côte d’Azur entre octobre 2020 et janvier 2021 au Centre pénitentiaire du Pontet (84) dans le cadre du dispositif "Une autrice en prison".

L’Agence régionale du Livre Provence–Alpes–Côte d’Azur et La Marelle remercient les personnes détenues qui nous ont fait confiance, les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les personnels des établissements pénitentiaires qui accompagnent et valorisent le projet auprès des personnes détenues, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille, les auteur·rice·s pour leur implication, les institutions qui œuvrent pour l’écriture, le livre et la lecture, les actions éducatives et culturelles, et qui soutiennent le projet.

Renseignements techniques

Cette revue est disponible dans sa version papier ou en ligne, au format .pdf téléchargeable.

La revue de La Marelle