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En résidence de création

Léguer nos fleuves
Maaï Youssef

■ Janvier et février 2022
■ La Ciotat

Le projet

Avec Léguer nos fleuves, Maaï Youssef désire raconter sous forme théâtrale un endroit particulier : l’hospitalité en soi, le corps comme vecteur de mémoires, d’appartenances et de transmission. À travers cette thématique, Maaï Youssef aspire à mettre en lumière la porosité des frontières entre les différentes manières de s’inscrire dans une maternité, entendue ici comme contribution au monde. Elle interroge ce que faire lignée signifie, ce qui constitue nos héritages visibles et invisibles, et comment on met en récit des mémoires fragmentées, trouées et parcellaires. Articulé autour de monologues d’une femme à un enfant imaginaire et des interactions de cette dernière avec les femmes de sa lignée, ce texte questionne ce qui rend une femme légitime à léguer au monde un héritage, qui soit poétique, sensible, politique et engagé.

Léguer nos fleuves est une pièce de théâtre en devenir, qui sera peut-être prolongée dans un roman autobiographique, une forme sonore ou visuelle. Rien n’y est figé.

Note d’intention de l’autrice

Comment est-on habité·e par la capacité à donner la vie autant que la mort ? Comment apprivoise-t-on nos mémoires de guerres et migrations alors que nous aspirons à accueillir un·eétranger·ère en nous ? Comment traverse-t-on l’interruption d’une grossesse, la fin de l’accueil ?

Début 2020, un texte commence à s’écrire dans mon cerveau. Chaque ligne se doit alors d’être grandiloquente. À peine entamé, j’écris de ce texte qu’il existe déjà en moi, incantatoire, nerveux, vibrant, sans limite. Je l’imagine à la fois manifeste et hurlement, je me sens dans l’urgence de penser l’héritage, le lègue : qu’ai-je à transmettre ? Que vais-je transmettre, parfois malgré moi ? Comment raconter des existences qui ne figurent pas dans les livres d’Histoire ? Au-dessus de mon bureau, siège sur un papier bleu cette phrase de Marguerite Duras : "Écrire, c’est hurler sans bruit". Je pose sur le papier quelques prémices sans règle ni cadre, de façon libre et fulgurante, je laisse venir ce texte à moi. Il me vient initialement sous la forme d’un monologue à l’Enfant à venir, librement inspiré de mes expériences. Je le conçois comme un guide ou un manuel qu’une mère laisse à son enfant afin qu’il·elle sache de quoi est faite l’histoire dont il·elle hérite. Dans La Femme brouillon, Amandine Dhée écrit : "La moindre des politesses quand on met un enfant au monde, c’est de lui fournir un kit de survie. Un récit édifiant, des valeurs, une morale, des repères". Rien ne peut mieux résumer le propos de ma quête. J’avance confiante.

J’ai en tête la voix d’Hayet Darwich, amie et sœur de luttes, comédienne et metteuse en scène, qui désire présenter mon travail au Festival de Marseille à l’été 2020. Marseille a été pour nous le lieu des possibles. Elle y étudie le théâtre, j’y explore nos racines arabes. La crise sanitaire met sur pause ces perspectives, mais "Léguer nos fleuves" est né et nous avons rendez-vous, ce texte et moi. Les premières ébauches de "Léguer nos fleuves" vivent dans mon nomadisme, nourries des territoires tempétueux et intenses que j’habite.

À travers cette expérience, j’aspire à mettre en lumière les mécanismes sociaux et politiques en raison desquels certaines mémoires (mémoires migratoires, de femmes, de minorités, ou encore populaires) ne se transmettent pas autrement que par l’invisible. 

Au printemps 2020, alors que nous nous déconfinons, je réalise que je suis enceinte. Au cours de l’été, alors que je fête mes 32 ans, séisme, je fais une fausse-couche. Je réalise coup sur coup que la maternité est un monde étranger et combien il est entouré de silences. Mon expérience d’être humaine s’étoffe, se densifie. Il devient évident que je ne peux plus écrire ce texte sans passer par cet endroit de moi-même. Je ne sais plus si l’Enfant à qui j’écrivais est celui qui vient de mourir ou un autre à venir, ou les deux à la fois. Je comprends que j’avais prévu d’écrire l’histoire d’un triomphe, triomphe sur les fantômes, sur les zones d’ombre, sur les silences, sur la honte, et aussi sur la beauté mal comprise, mal regardée des histoires tues. Entre mes prédictions et mon présent, une réalité plus complexe, plus sinueuse, se dessine.

À la suite d’un appel à candidature pour une résidence d’écriture à la Comédie de Valence, je réfléchis à comment adapter ce texte, qui me semble m’avoir échappé comme l’Enfant, dans le sang rouge de la stupeur. Comment créer une intrigue ? Comment en faire le cœur battant d’une pièce de théâtre en construction ? Je m’auto-transforme en personnage et j’autorise à ce personnage toutes les explorations et les folies.

Je me situe actuellement à un endroit de création imprégné de transdisciplinarité : aux confins des sciences sociales, de l’observation de soi et de l’Autre, et de l’écriture dramatique. J’imagine une écriture et une mise en espace rythmées par des ingérences de mémoire accidentelle, avec des objets sonores qui émailleraient la pièce.

Maaï Youssef

À écouter…

La première chose que je peux vous dire…


Un entretien avec Maaï Youssef autour de la revue de La Marelle. Une rencontre animée par Roxana Hashemi, enregistrée en studio à la Friche la Belle de Mai, diffusée sur les ondes de Radio Grenouille et en podcast sur la plateforme Transistor.



Le lieu de résidence

Début le printemps 2021, La Marelle a ouvert cette nouvelle "maison", la Villa Deroze, située au milieu des pins, sur les hauteurs de la cité portuaire de La Ciotat. Confiée avec générosité par Danielle Deroze, elle est destinée à accueillir artistes, auteurs et autrices, pour des projets de création qui souvent se croisent ou s’hybrident.

 

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