
En résidence de création
Proxima des Centaures
au loin en fleurs
Le projet d’écriture
En résidence à La Marelle, au loin en fleurs travaille sur Proxima des Centaures : un projet de tragicomédie queer en alexandrins.
Au fond de la forêt vit une communauté de Centaures. Soucieux du mouvement des astres, farouchement indépendants et fougueusement asexuels, ils s’organisent collectivement pour résister à la domination hétérosexuelle de la mégalopole voisine.
Lorsqu’un adolescent humain, dans une quête désespérée, s’aventure au cœur de la forêt, un vent de passions secoue la société centaure. L’adolescent suscite chez certains un discours violemment humanophobe ; chez d’autres, il fait éclore un désir inédit qui les désarçonne. Quant aux astres, ils se sont voilés, comme s’ils se détournaient d’un drame inéluctable.
Proxima des Centaures, qui devrait comporter 2500 vers, veut interroger la façon dont la beauté se (dé)construit et (re)structure notre rapport aux autres. Pourquoi les tourments, le destin, les passions serviraient-ils nécessairement le discours hétéronormatif de l’âge classique ? Ce projet de tragicomédie queer souhaite proposer une façon militante de faire des alexandrins ; de laisser les sexualités dissidentes s’en accaparer la force et la flamboyance.
Note d’intention de l’auteurice
Un jour, j’ai découvert que la littérature n’était pas pour moi ; elle ne m’était pas adressée ; j’y trouvais mon compte « malgré tout ».
Bien des textes que je chérissais proposaient une expérience du désir. Leur lectorat s’identifiait aux personnages amoureux. Que me servait-il de remarquer l’acuité de l’auteur à sonder les cœurs, manier la langue et ciseler une érotique ? L’enjeu du texte était autre : il fallait s’émouvoir, frémir, s’échauffer. Pour le lectorat hétérosexuel, lire l’attirance l’un vers l’autre de ce corps masculin et de ce corps féminin, c’était jouer le premier acte de ses propres passions.
C’est de cette découverte, de cette surprise, de ce sentiment d’exclusion, que s’est développé le projet d’écrire une tragédie queer. Alors j’ai commencé. J’y ai trouvé du sens. C’était, il faut bien le mentionner, dans un environnement carcéral, dans un pays où l’homosexualité est criminalisée. J’écrivais jour après jour des alexandrins sous le nez de geôliers qui n’y voyaient que le journal intime d’un détenu qui s’ennuie.
Je suis rentré chez moi. Après quelque temps, j’ai rouvert mes cahiers. Et, c’est vrai, un petit bout de mon cœur s’est brisé à me dire qu’il n’y avait pas que dans ce pays là-bas, dans cette dictature, que mon projet faisait sens. Ici aussi, chez moi, combattre l’hétéronormativité c’est chaque jour, et c’est partout.
Lier le rire à la colère, c’était ma stratégie d’autoconservation en milieu carcéral. Elle est aussi au centre de ce projet, pour ce qu’elle incarne un choix vieux comme le monde lgbtqia+ : le choix de la scène, du jeu, de la flamboyance. À cet égard, l’alexandrin est une arme redoutable, il possède un magnétisme, une photogénie que le théâtre classique a sous-exploitée. Il me guide vers une lecture de la flamboyance que je n’avais jamais faite : la flamboyance comme affirmation politique, qui survient lorsqu’on transmute les douleurs privées en éclat de rire public. Acier ou velours, l’alexandrin exécute comme il embras(s)e. Douze syllabes rimées forment une punchline qui sert, suivant la scène, la drague ou le clash. Cette tension entre le grave et le dérisoire, entre le clin d’œil et le couteau, je m’efforce de la conserver au fil de l’écriture.
J’ai sept personnages. J’essaie de produire et de faire circuler du divers, de l’ambivalence. Les genres et les pratiques s’avouent, s’exposent, s’invitent, pour interroger nos certitudes de genre et nos routines sexuelles. L’un des défis passionnants que me pose la rédaction de ce texte, c’est de comprendre comment faire preuve d’imagination. Il a beau s’agir de forêts ténébreuses, d’étalons-chimères et d’astres conspirateurs, le travail imaginatif semble ailleurs, et d’une autre qualité : il n’est pas dans l’étrange, il n’est pas dans la surenchère. Pour reprendre l’image de ces constellations si chères aux Centaures, l’enjeu imaginatif ne revient pas tant à scruter l’espace à la recherche d’astres inconnus, que de multiplier les dessins qui relient les astres existants. C’est se dire : « En tant qu’étoile, je tracerai moi-même les constellations dont je ferai partie. Elles seront nombreuses. Je les lirai, je les arpenterai ; elles me deviendront repérables puis familières. Une autre étoile se reliera d’autres façons. Sur un ancien Taureau je tracerai mon Centaure, tu verras la Sirène apparaitre sur tes Poissons ; et mon Centaure et ta Sirène, quel corps formeront-ils ? »
au loin en fleurs, 2025
Partenaire et structure associée
Le lieu de résidence
Depuis le printemps 2021, La Marelle a ouvert cette nouvelle « maison », la Villa Deroze, située au milieu des pins, sur les hauteurs de la cité portuaire de La Ciotat. Confiée avec générosité par Danielle Deroze, elle est destinée à accueillir artistes, auteurs et autrices, pour des projets de création qui souvent se croisent ou s’hybrident.
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