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Photo © Danielle Vioux

Prendre refuge, de Danielle Vioux

Carnet de résidence

No-Mad Land

10 Juillet 2021

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Travaux de résidences

I

– C’est encore loin ?
– Une heure, dans cette tempête. Si tout va bien
– C’est cette neige. Elle colle. Tu es sûre de ta route ?
– Je l’ai faite cent fois. Et mon père avant moi.
– Il n’y aura que nous ?
– On ne peut jamais savoir.
– Assez de place pour combien ?
– Confortable pour dix.
– Et si on croise les milices ?
– J’ai eu un appel sur mon CP. All clear.
– J’ai peur quand même.

 

II

Une cabane je crois. Pas en haut d’un arbre. En haut d’un hangar, sous le plafond. Coincée entre les poutres et les lauzes. Un abri parfait pour gamines en pleine croissance des seins et des fesses. Avec pas de problèmes majeurs, juste des petits tracas de mes parents ne comprennent pas et de quel chanteur tu préfères. Mais des secrets quand même, faut pas charrier. Des rêves. Des espoirs. Des utopies. Seulement, à l’époque, on ne savait pas que ça s’appelait comme ça.

 

III

Ferme les yeux
Souviens-toi
Cherche les images
Avant qu’elles ne s’effacent
Il y avait combien de fenêtres ?
L’odeur des plantes mises à sécher
Au-dessus
Au grenier
L’odeur des animaux pas loin
Le toucher du bois et de la pierre
Le bruit du torrent au bout du pré
Le bruissement mystérieux de la forêt
Ferme les yeux
Respire le parfum de la terre mouillée

 

IV

– C’est encore loin ?
– Une heure, dans cette tempête. Si tout va bien.
– C’est ce sable. Il m’aveugle et m’écorche.
– Serre ton foulard.
– Ça s’appelle comment, déjà ?
– J’ai oublié.
– Tu es sûr de ta route ?
– Depuis des générations.
– Il n’y a que nous dans cette tempête ?
– Sûrement pas
– Alors pourquoi on ne voit personne ?
– On est tous invisibles.
– Et la grotte, elle est grande ?
– Assez pour cent
– Et si on croise les…
– Pas de risque.
– J’ai peur quand même.

 

V

Ma maison est-elle un abri ? Résistera-t-elle au loup qui souffle fort pour la détruire ? À la guerre ? Aux attentats ? Aux cyclones ? Aux glissements de terrain ? Au hasard ? À l’imprévu ? À l’ogre ? Au dragon fou ? Ma maison est-elle un abri sûr ?

C’était le cas quand j’étais enfant. Ma maison c’était mes parents. Donc indestructible, forcément.
Mais j’ai grandi, j’ai vieilli, mes parents sont morts et plus rien n’est sûr à cent pour cent. Sans compter qu’après chaque nuit de sommeil, ou de demi-sommeil inquiet, le monde n’est plus le même qu’hier. Incroyable comme ça va vite. Nouveaux décrets, nouveaux paramètres, nouvelle description des faits et des acquis, et des acquis d’ailleurs il y en a de moins en moins. On s’adapte avec l’énergie des perdants. On espère encore, parfois.

Mais c’est ma maison, mon refuge, en face d’un autre refuge plus grand, où je pourrai peut-être me cacher si tout va mal. Si tout va mal, alors aucun refuge n’est assez sûr. Mais peut-être que je pourrais inviter d’autres autres. Peut-être que ça leur plairait mon refuge et qu’on se refuge ensemble tant bien que mal. Peut-être que c’est ça qu’il faut se dire quand les ombres sont trop grandes. Ou alors juste le contraire. Sortir dans la rue. Et ne plus avoir peur que les murs s’écroulent.
Sortir ensemble et humer l’air du temps. Marcher. Et s’arrêter parfois, juste pour goûter l’instant.

 

VI

L’automne, tu dis ?
Peut-être
Ou le printemps
Une feuille odorante
Un craquement sous les pieds
Un flocon de neige
Un grain de sable

Parfois,
Plus rien ne compte
Qu’un poème entendu
Dans le vent
Parfois
Plus rien ne compte
Que le silence qui suit

Et dans ce silence
Nous oscillons
Bravement

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