Skip to main content
Photo © Danielle Vioux

Le théâtre nous fait grandir, de Danielle Vioux [Grete]

Carnet de résidence

No-Mad Land

10 Juillet 2021

⤴︎ Revenir à la page
Travaux de résidences

L’art nous fait grandir. Le théâtre nous fait grandir. Non pas comme un thérapeute, encore qu’il puisse aider à guérir parfois le corps ou la tête au passage, mais plutôt comme un éducateur, voire un parent, ou un ami précieux qui serait lui-même en recherche, aurait quelques longueurs d’avance, ouvrirait des portes ou montrerait des routes possibles, tout en encourageant à sortir des sentiers battus. Je l’ai vérifié par moi-même et aussi par de nombreux témoignages d’élèves. Cette année, avec une nouvelle réforme qui met à mal les options en les rendant plus difficiles d’accès et en les dévalorisant, il importe plus que jamais que cela soit dit et redit une fois de plus, avec un regard triste sur les combats du passé dont les fragiles acquis sont mis à mal à nouveau : l’art à l’école n’est pas un luxe, mais une nécessité. Un monde sans art est un monde mort. Une éducation sans art est une éducation morte.

Dans le partenariat artiste/enseignant, j’ai été tantôt l’un, tantôt l’autre.

À l’école, pour que vive la pratique théâtrale (accompagnée si possible de la pratique du spectateur) il faut d’abord des enseignants têtus et obstinés qui se battent contre vents et marées pour que l’institution scolaire, du ministère à l’établissement, non seulement accepte qu’ait lieu cette "activité", mais lui donne les moyens d’exister et de durer. Je parle là horaires, lieux, respect de l’importance de l’art dans le cursus, et bien sûr finances. Le militantisme de l’enseignant est le sésame qui ouvre la porte aux artistes

Une fois cela posé, il s’agit d’inventer un partenariat qui fonctionne le plus harmonieusement possible, ou la parole circule, où le respect réciproque est la règle et passe par des échanges fluides. Il ne s’agit pas pour l’artiste de dire, moi, je sais, laissez-moi faire, je vous laisse vous occuper de l’appel et de quelques autres mondanités. Ni pour le prof de dire, c’est ma classe, ce sont mes élèves, pas touche.

Les enseignants qui se sont battus pour que vive le théâtre dans leur établissement sont des passionnés. Ils y croient. Ils ont souvent une pratique du théâtre en parallèle. Ils méritent d’y être artistes aussi, c’est-à-dire de réfléchir à l’art, au processus de création, et de mettre en jeu ces réflexions. Le contact avec l’artiste partenaire doit être un silex qui enrichit l’un et l’autre avec leurs parcours différents. Et surtout, la transformation du rapport prof/élève qu’opère le théâtre doit être au bénéfice des deux.

Pour cela, qu’ils aient ou non eux-mêmes une pratique théâtrale en parallèle, les enseignants méritent une formation sérieuse. C’était le cas il y a une vingtaine d’années, où il était possible de suivre trois ou quatre stages de quatre à sept jours par an, de suivre les enseignements théoriques et pratiques d’auteurs, metteurs en scène, danseurs, scénographes, et de s’enrichir à leur contact. Coupes budgétaires obligent là aussi, ces formations ont quasi disparu, et avec elles une possibilité de qualité et d’évolution, et de fait un droit à la formation permanente mis à mal.

Les artistes qui interviennent dans des projets à l’école ont parfois à surmonter leur propre méfiance de l’institution et des enseignants. Mais ils comprennent qu’ils ne sont pas plus les porteurs d’une révolte adolescente que tous les adultes qui se sont posé la question et les adolescents qui s’y confrontent au présent. Ensuite, c’est une rencontre qui demande patience, exigence et bienveillance. Il ne s’agit ni de laisser faire n’importe quoi ni de hiérarchiser entre le travail fait avec les jeunes et le travail fait dans le cadre de mises en scènes professionnelles. J’ai eu la chance de travailler ainsi longtemps avec une artiste intervenante qui apportait échange et qualité nourris de son expérience, et dont les structures référentes persistaient à discuter la légitimité, jugeant que la nouveauté des jeunes créateurs était seule intéressante. Certes il est important que les jeunes soient confrontés à l’immédiat de la création, mais si elle n’est pas enracinée, alors elle se réduit à des chiffons volants. Il faut les deux, absolument.

De même, il faut bien évoquer le facteur temps. Il faut du temps pour que la qualité soit là. En 3 ans d’option, même facultative, on a ce temps de construction solide qui donne des repères pour la vie. Or, depuis quelques années, à la question "Comment faire pour que davantage de jeunes aient accès au théâtre et aux autres arts ?" il n’a pas été répondu "Facile, on va financer davantage de projets de qualité et sur la durée", mais bien plutôt : "Facile, on va diviser le temps total par cent ou mille en rajoutant quelques zéros au nombre d’élèves concernés, ils auront ainsi quelques minutes de portes ouvertes sur l’art et la pratique artistique, vive la démocratie à bas frais".

C’est ainsi que j’ai travaillé en collège en tant qu’autrice (écriture et mise en voix) sur des projets comportant en tout et pour tout cinq interventions financées, parfois six. Dans les meilleurs cas, quand les enseignants étaient partie prenante activement et les élèves pas trop décidés à refuser tout par principe parce que c’est nul et à faire le oaï, on aboutit à un projet fait dans la hâte et superficiellement, même s’il réjouit tout le monde à la fin. Dans les pires cas, on passe deux séances à convaincre, parfois sur le ring, deux à travailler, et une à constater qu’à cause de la honte de réaliser que ce sont leurs collègues qui vont les regarder, ils balbutient au fond et de dos un vague texte auquel on ne comprend rien.

J’ai eu la chance aussi d’expérimenter côté intervenant les reproches des enseignants qui souhaitaient garder la main (sur un projet de 5 séances) et pensaient que nous les méprisions. Ce n’était pas le cas bien sûr, mais cela oblige à réfléchir à la complexité des rapports dans le partenariat et à la sensibilité écorchée des enseignants qui se bougent pour que les choses aient lieu au bénéfice d’élèves qu’ils aiment, et celle des artistes dont la précarité de la vie et des revenus justifierait le désir de légitimité contre les profs qui ont choisi la stabilité des salaires. Personne n’est parfait, on fait comme on peut, et on apprend.

J’ai travaillé aussi en écriture et théâtre avec des élèves étrangers, l’été à l’université. Un bonheur à chaque fois ou presque, à cause de ce désir qu’ils avaient d’apprendre, d’engranger, d’expérimenter. De même en milieu carcéral où toute respiration embellit le jour, et l’écriture, le théâtre et la lecture à voix haute sont des évasions possibles et autorisées, mais allègent néanmoins le poids de l’enfermement, et rendent plus beau, plus fort, plus ouvert sur autre chose que le délit et la peine.

Souvent, en repensant à la transformation de tel ou tel jeune ou adulte à travers l’écriture et le théâtre, à leur parcours de vie ensuite, artistique ou non, je me dis que j’aurais de quoi écrire un livre de cinq cents pages au moins. Je ne le ferai peut être jamais. Mais tout cela a été vécu, la création, les répétitions, les week-ends de stage et la découverte du collectif, la pratique juste pour le plaisir, les difficultés surmontées, les spectacles joués ou vus, tout cela les a transformés, les a fait grandir, et moi aussi au passage. 

 

Écrit pour le Grete, soutien de ce programme, ce texte sur le thème Théâtre/Éducation est proposé en complément de la revue No-Mad Land : l’expérience de l’ailleurs, dans laquelle Danielle Vioux publie également le texte titré "No-Mad Land".

%MCEPASTEBIN%
➞ Lire l’intégralité de son